jeudi

Cessons de parler de "Révolution du Jasmin !"

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Extrait du Premier Chapitre (p37-p40), quelques réflexions à propos de l'indécence de la formule "Révolution de Jasmin"

Y'en a marre de la «Révolution du Jasmin»!

Le journaliste et essayiste Akram Belkaïd s'élève contre l'association indécente de la révolte du peuple tunisien contre la dictature à une expression léguée par le régime Ben Ali.

Fleur de jasmin by akk_rus via Flickr
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La commémoration du premier anniversaire de l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, point de départ de la chute du régime de Ben Ali, a fait refleurir l’expression «Révolution du jasmin», notamment dans les médias français. Au grand dam du journaliste et essayiste Akram Belkaïd qui, dans son ouvrage Être Arabe Aujourd’hui, s’était élevé contre l’emploi de cette formule qu’il juge «indécente». Extraits:
Cessons de parler de «Révolution du Jasmin»! Ce qui s’est passé en Tunisie entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011 n’a certainement pas été une promenade de santé ni une ballade au doux parfum hivernal. Ce fut une vraie révolution sanglante qui, contrairement à une idée reçue, ne s’est pas simplement déroulée sur Internet et ses réseaux sociaux. À Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa, Metlaoui, Jendouba, Souk Jedid, Kef et même à Sousse, Sfax et Tunis, les forces de police et les snipers du régime n’ont eu aucun scrupule à ouvrir le feu, tuant par balles près de 300 personnes en moins d’un mois. Mais la détermination des manifestants était sans faille. Ils voulaient en finir. «El-Chaâb yourid isqat el-nidham» —le peuple exige la chute du régime— a été l’un des slogans emblématiques du Printemps arabe scandé à pleins poumons sur l’avenue Bourguiba de Tunis avant d’être repris sur la place al-Tahrir au Caire, mais aussi sur la place de la Perle à Manama, dans les rues de Benghazi puis dans celles de Damas.

Les Tunisiens méritent mieux

C’est en pensant aux morts, à la violence de la répression et au courage des manifestants, que je m’élève contre l’utilisation indécente de l’expression «Révolution du Jasmin» pour désigner la révolte du peuple tunisien. Entendue dès les premières heures qui ont suivi la fuite de Ben Ali, elle est devenue le raccourci obligé des journalistes et des commentateurs, qui trouvent que cela donne un charmant zeste d’exotisme et y voient une analogie bienvenue avec la révolution des œillets, au Portugal, en 1975. Je reconnais l’avoir moi-même utilisée, mais nombre d’amis tunisiens m’ont depuis convaincu de son caractère détestable, à plus d’un titre. D’abord, il faut se souvenir que cette formule de carte postale a servi à désigner la prise de pouvoir de Ben Ali en novembre 1987.

Ensuite, n’oublions pas que le yasmine (le jasmin en arabe) renvoie à l’image pacifique et docile de la Tunisie. Dans le monde arabe, et plus encore au Maghreb, on a souvent moqué les Tunisiens pour leur soi disant manque de courage et de virilité. Dans un ouvrage précédent, j’ai rappelé cette anecdote où, en pleine guerre d’Algérie, un écrivain algérien rendait hommage «au peuple frère du Maroc et au peuple soeur de Tunisie»…

Au-delà du caractère misogyne du propos, c’était oublier que, bien avant que naisse le FLN algérien, les premiers fellaghas étaient des nationalistes tunisiens et que leur pays avait connu, lui aussi, son lot de révoltes et de soulèvements contre l’ordre colonial français. Au final, et malgré tous les clichés et les quolibets, c’est bel et bien ce peuple qui s’est révolté le premier et a chassé son tyran. C’est ce peuple qui a permis aux Arabes d’ouvrir une nouvelle page dans leur Histoire.
Une autre raison qui disqualifie cette formule du jasmin est qu’elle renvoie à la propagande du régime déchu. En Tunisie, le nom de cette fleur a été mis à toutes les sauces durant deux décennies. Il a été usé à la corde par l’insupportable logorrhée officielle, cette «novlangue inédite, hybridation monstrueuse de verbiage technocratique, de lexique pompeux et d’usage délirant de la majuscule», comme l’a décrit Myriam Marzouki, metteur en scène et fille du désormais président Moncef Marzouki 

Une expression liée au régime Ben Ali

Un «gloubi-boulga» absurde chantant la gloire du parrain et décrivant une terre paradisiaque qui n’existait que dans les catalogues touristiques ou les brochures de l’Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE). «Le pays du jasmin et du partage», «le tourisme au pays du jasmin et de la tolérance», «l’esprit du jasmin», «l’insouciance au pays du jasmin», voilà autant de slogans marketing imaginés par les communicants de l’ancien pouvoir dictatorial pour vendre l’image d’un pays idéal et apaisé. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que nombre de ceux qui revendiquent la paternité de cette expression de «Révolution du Jasmin» soient des journalistes longtemps obligés d’user et d’abuser de cette sordide novlangue. Trouver les termes grandiloquents susceptibles de plaire, du moins le croient-ils, aux Occidentaux est devenu chez eux un réflexe pavlovien, une forme de sujétion à un orientalisme bas-de-gamme dont il faudra absolument qu’ils se débarrassent.

J’ai bien conscience que cette formule est plaisante et qu’il est difficile de résister à une telle facilité d’emploi. C’est d’autant plus vrai que cela permet de faire le lien entre les révolutions arabes et la Chine, cette autre dictature où les autorités craignent tellement la contagion qu’elles ont très vite censuré le mot «jasmin» des moteurs de recherche d’Internet. Il n’empêche. Cette expression n’est pas neutre car, en un certain sens, elle perpétue l’esprit de la dictature de Ben Ali. A ce sujet, il faut d’ailleurs rappeler que la presse tunisienne a parlé il y a longtemps de «Révolution du jasmin». C’était en novembre 1987 et durant les semaines et mois qui ont suivi. Ben Ali venait de prendre le pouvoir dans son pays grâce à un «coup d’Etat médical» contreBourguiba. Il est inutile de rappeler ce qui s’est passé ensuite et comment le parfum du jasmin s’est transformé en fumet écœurant…

Akram Belkaïd

mardi

Respect Magazine : Akram Belkaïd: «Être arabe aujourd’hui, c’est s’impliquer»

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Akram Belkaïd: «Être arabe aujourd’hui, c’est s’impliquer»

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20 DÉCEMBRE, 2011
Par: Hassina Mechaï
Akram Belkaïd, journaliste algérien, spécialiste du monde arabe, est l'auteur d' «Être Arabe Aujourd’hui» paru aux éditions Carnetsnord. Dans cet ouvrage, il revient notamment sur les causes du printemps arabe et la place de l'Islam dans ces sociétés. Interview.
Les révolutions arabes ont semblé être pour vous une heureuse surprise ? Vous dites ne pas les avoir vues venir ?
Il s’agit là d’un sentiment humain de déception répétées, on finit par ne plus y croire. Au début des années 2000, je m’étais déjà enthousiasmé pour le mouvement Kifaya en Égypte* ; j’ai cru que ça serait le début du réveil arabe. Mais ces pouvoirs avaient des capacités importantes de résilience... J’ai continué à observer ces sociétés. Rétrospectivement parlant, ce qui s’est passé en décembre a été préparé par une série d’événements : grèves, émeutes locales, immolations. Je pensais que tout bougerait plus tard.
Des livres comme celui d’Emmanuel Todd et Youssef Courbage, Le rendez-vous des civilisations, en s’appuyant sur des données démographiques objectives, ont pu annoncer l’évolution de ce monde arabe ?
Oui ces deux auteurs ont vu que la transition démographique, la baisse de la fécondité chez les femmes et la hausse du niveau d'alphabétisation créaient les conditions objectives du Printemps arabe. Cependant je reste plus prudent qu’eux, notamment sur leurs prévisions sur l’évolution post islamiste. Je ne suis pas certain qu’on soit définitivement sorti de la tentation islamiste, y compris dans la société tunisienne.
Car le vrai enjeu est l’émergence d’un mouvement de fond, à fois philosophique et politique, de relecture de l’Islam : il nous faut une relecture des textes sacrés à l’aune de la modernité. Historiquement, l’Islam des Lumières a déjà eu lieu dans l’histoire de la pensée musulmane, entre le 9eme et le 12eme siècle : toute une réflexion de savants musulmans décrétant le libre arbitre, la séparation du religieux et du politique. Le monde arabe a donc déjà là un formidable matériau philosophique.
Vous montrez que l’Islam devra être intégré dans cette dynamique nouvelle...
Parce qu’on ne peut nier la réalité sociologique et politique des peuples arabes. L’exemple algérien a montré que la violence éradicatrice n’est pas la solution. Les islamistes ont le soutien d’une partie de la population, on ne peut les écarter du jeu politique. Mais il ne faut pas être naïf. Le mouvement islamiste, même s’il dit s’être amendé, doit être surveillé de près. Je suis dialoguiste, incorporons les dans le jeu politique, même si la tentation radicale existera toujours.
Et puis il y a des éléments qui poussent à l’optimisme, notamment avec l'exemple turc . Ce pays a démontré que des islamistes peuvent gagner des élections sans que rien de grave ne se passe. La Turquie essaye de faire revivre l’influence de l’Empire ottoman. Ce pays a une croissance de 8%, un dynamisme incroyable, il réforme ses institutions et frappe à la porte de l’Europe.
Vous utilisez beaucoup de mots comme hogra (mépris), humiliation, comme si ce printemps arabe était d’abord un formidable appel à la dignité.
Jusque là, la chose la mieux partagée par les peuples arabes était le sentiment d’humiliation ; ce sentiment a fait tomber le mur de la peur et a poussé les gens à réclamer leur droit à la dignité. Désormais les peuples ne vont plus accepter qu’on leur impose la figure du maître absolu et sa famille au pouvoir. C’est d’abord un appel à la Karama, la dignité. D’ailleurs ce sentiment a été longtemps et habilement exploité par les dictateurs arabes, et canalisé contre Israël. Pourtant, ceux qui sont humiliés par Israël sont les Palestiniens, pas le chômeur algérien ou tunisien. Lorsque ces derniers revendiquaient une meilleure vie, on leur disait d’attendre la libération de la Palestine.
Une véritable martyrologie de Bouazizi a été construite après sa mort ? Y a-t-il une mythologie, un story-telling de ce Printemps Arabe ?
Complétement. Une mythologie qui participe de l’histoire de ce mouvement de fond. Il n’en demeure pas moins que le supplice de cet homme par le feu a déclenché un mouvement de protestation nationale, en Tunisie d’abord, et puis dans d’autres pays. C’est un storytelling utile. Et puis, il faut garder à l’esprit l’individu lui-même : quel désespoir fallait-il pour s’immoler par le feu… Certes, il y a eu construction médiatique de ce printemps arabe, des choses demeurent inconnues comme le rôle de l’armée tunisienne ou des think tanks américains. Mais des gens sont bien morts sous les balles, un homme est mort brulé vif. 

Qu’est-ce que ce Printemps arabe dit de l’Occident ?
Il a été saisissant de voir que les gouvernements européens ont présenté ces bouleversements comme des équations liées à l’immigration. Cela a révélé une absence totale de solidarité et une collusion avec des régimes dictatoriaux soutenus à bout de bras au nom de la lutte contre l’islamisme et l’immigration clandestine.
Mais il a été également fascinant de constater qu’un pays aussi influent que la France a été, incapable de voir venir tout cela. La position très pragmatique des États unis tranche nettement ; ainsi le discours d’Obama après le départ de Moubarak restera un grand discours, avec intonations à la Lincoln.
Pourquoi l’Algérie semble-t-elle être un trou noir dans ce printemps arabe ?
Ce n’est pas surprenant. De 1988 à 1990, on a parlé du printemps algérien, lequel a débouché sur une guerre civile de 10 ans qui a fait 200 000 morts. L’Algérie est un pays en confrontation permanente ; mais le système sait gérer cela en maniant la carotte financière. Le débat en Algérie se résume ainsi : soit le régime comprend qu’on est en train vivre une période vitale et accepte une remise en cause ; soit on se prépare à des années plus terribles encore que la décennie noire. Une partie de la jeunesse, née avec les émeutes de 88, n’a rien à perdre. L’étincelle peut venir d’elle.
Pour parler comme Montesquieu, comment peut-on être arabe aujourd’hui ?
En investissant le destin de son pays, en refusant de se complaire dans une posture de victimisation, et en s’impliquant dans une démarche de modernisation religieuse et de remise en cause de tabous, notamment dans la séparation du religieux et du politique. Et surtout, on ne peut être arabe sans s’investir dans la question de la place de femme dans société. N’oublions pas, des femmes voilées ou pas, ont manifesté et ont fait aussi ce printemps arabe.
* De l’arabe « ça suffit ! », ce mouvement d’opposition au gouvernement de Moubarak appelait à une démocratisation du système politique.

AKRAM BELKAÏD EN 5 DATES 1987 : Diplomé de l'Ecole nationale d'Ingénieurs et de Techniciens d'Algérie.
1991 : Opte pour le journalisme
1995 : Quitte l'Algérie pour la France.
2005 : Publie Un regard calme sur l'Algérie (Seuil).
2011 : Publie Être arabe aujourd’hui (Carnets Nord)

lundi

Etre Arabe Aujourd'hui, dans l'Humanité

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Être arabe aujourd’hui, d’Akram Belkaïd. Éditions Carnets du nord,  2011, 256 pages, 18 euros.Les révoltes des peuples dans la majorité des pays arabes depuis le printemps 2011 ont incité pas mal d’auteurs à analyser leurs causes. «Je n’avais pas vu venir la révolution», avoue d’emblée Akram Belkaïd. Ce journaliste et essayiste algérien porte un regard critique sur les dirigeants arabes. «Le printemps arabe ne va pas cesser d’être ausculté mais si l’on a un minimum d’honnêteté, il faut s’interroger sur les raisons pour lesquelles personne ou presque ne l’a vu venir. Ni les diplomates ni les politologues, et encore moins les journalistes, n’ont été capables de prédire cet événement majeur. Pourquoi ? En ce qui me concerne, je pense que je m’étais habitué au caractère résilient des dictatures.» En rendant hommage à un journaliste libanais assassiné, Samir Kassir, il tranche avec son franc-parler. «En 2005, alors que le monde arabe, déboussolé et traumatisé, se relève à peine des conséquences des attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington ainsi que de l’invasion de l’Irak en mars 2003 par les troupes américano-anglaises, est publié Être arabe (1). Pour moi, c’est une véritable feuille de route, un manifeste, que tous 
les Arabes se devaient de lire et d’intérioriser. 
Ne plus se poser en victime, se prendre en charge, redevenir acteur de sa propre histoire et regarder 
vers l’avenir en assumant pleinement ses droits 
et ses obligations au nom de l’aspiration démocratique. » Jusqu’en janvier 2011, être arabe, c’était se sentir humilié par ses dirigeants, 
impuissant à peser sur l’évolution de son pays. 
Depuis la chute de Ben Ali et de Moubarak, c’est retrouver un sentiment de fierté et réaliser que la dictature et la corruption ne sont pas une fatalité. Akram Belkaïd souhaite que «les Arabes cessent d’attendre l’homme providentiel et qu’ils comprennent que le salut est l’œuvre de tous. 
Trop espérer d’un seul homme finit toujours 
par faire naître un tyran et à mener à la dictature». 
Il dresse un portrait sans concession du monde arabe naissant, mais avec des interrogations : quelle est désormais la place de l’islamisme dans ces sociétés ? 
En quoi la condition de la femme changera-t-elle ? 
La démocratie peut-elle émerger dans ce contexte aux réalités multiples, des émirats du Golfe aux banlieues de Tunis ? Cet ouvrage est un essai de réflexion sur l’avenir de ce bouleversement majeur, qui fait renouer les peuples arabes avec l’espérance démocratique.

(1) Actes Sud/Sindbad, 2005.
Mustapha Hamidouche

vendredi

Du Printemps arabe et de l'islamisme

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Il est étonnant de voir des gens s'étonner (s'affoler ? s'indigner ?) de la victoire des islamistes aux élections (Egypte, Tunisie, Maroc, demain la Libye). Tout cela était prévisible. L'islamisme n'a pas disparu parce qu'il n'a pas été visible lors des premiers temps des révolutions arabes

Extrait d'Etre Arabe Aujourd'hui, page 147 : 

« Tergiverser ou louvoyer avec l’islamisme en croyant qu’il finira pas disparaître de sa belle mort politique et idéologique au profit d’une démocratie apaisée et sécularisée risque d’apporter de cruelles désillusions. En réalité, comme me l’a dit un soufi irakien, ‘rien ne se fera en dehors de l’islam’. Que l’on me comprenne bien, il ne s’agit nullement d’un slogan islamiste mais, à l’inverse, l’expression de la conviction qu’il faudra tôt ou tard, pour qu’une démocratie juste s’installe et perdure, que les musulmans acceptent de s’investir dans une nouvelle exégèse des textes coraniques par le biais d’une renaissance de la pensée islamique ».